Flippitypo

Je m’intéresse entre autres chose au mécanisme de prise de décision, et ce qui peut l’influencer/le contraindre. Pendant mes recherches je suis tombé sur le flippisme, une pseudophilosophie qui implique de prendre des décisions à pile ou face.

C’est une façon de faire des choix que j’ai déjà utilisée dans ma vie, pas forcément dans des moments existentiels mais quand je n’arrivais pas à avoir une préférence. Ça permet de se décider rapidement pour un choix qui n’a pas trop d’enjeu, sans avoir à perdre du temps à hésiter sur la meilleure option.

On peut résumer mon intention comme ceci, en allant du plus général au plus précis :

1. réfléchir à comment éviter les tourments artistiques liés au fait de devoir faire un (des) choix
2. exploiter les possibilités du flippisme comme “facilitateur” de prise de décision dans la création
3. construire un projet typographique utilisant le tirage à pile ou face comme méthode de travail
4. produire un spécimen typographique d’un set de glyphs (sûrement assez réduit) , en incluant aussi la mise en forme d’un compte-rendu de toutes les décisions prises au fur et à mesure de l’avancement du projet

Pourquoi le dessin de caractères ? Le dessin de caractères apporte plein de micro-choix binaires que l’on peut résoudre par le flippisme. J’avais aussi envie de faire du dessin de caractères.

Ces références, si elles ne me servent pas d’appui pour le dessin en lui-même, pourront servir à alimenter un spécimen.

• Une vidéo sur la "prévisibilité" du hasard, où comment il peut sortir des motifs déterminés d’un processus impliquant le hasard.
• Une question intéressante ? Et aussi une autre question → je peux négliger ce biais je pense
• Le revers et l’avers sont les noms de pile et face en numismatique.
• Différentes façons de jouer à pile ou face (peut servir à décider de choix non-binaires)
• Crowdfont, un projet de fonte dessinée démocratiquement, par le vote du public. La liste des choix soumis au vote m’a inspiré pour définir les choix déterminants pour lesquels lancer une pièce.
• Grifo, qui ressemble à ce que je veux faire d’après les tirages.

Petite liste des choix que j’ai à faire pour commencer le dessin d’un caractère.

Pour les choix binaires → Pile je choisis la proposition de gauche et Face la proposition de droite

Pour les choix ternaires → Je lance trois pièces, correspondant respectivement aux 3 propositions de gauche à droite. La proposition qui correspond au côté minoritaire gagne.
Exemple : pour choisir entre A, B ou C, je lance trois pièces  : PILE/FACE/PILE. Face est minoritaire face à Pile donc je choisis la proposition du milieu, la B. Si je tombe 3 fois sur le même côté, je recommence les 3 lancers

• Glyphs ou FontForge ?
• Alphabet latin ou non ?
• Capitales ou bas-de-casses ?
• Empattements ou sans-serif ?
• Empattements filiformes, rectangulaires, triangulaires ?
• Axe droit ou incliné ?
• Contraste léger ou fort ?
• Plutôt Thin, Regular, Bold ?
• Italique ou pas ?
  • Inclinée vers la gauche ou vers la droite ?
• Partir d’une fonte existante ou non ?
• Stencil ou pas ?
• Condensed, Normal, Extended ?
• Proportionnelle ou Monospace ?
• Variable ou non ?
• Inktraps ou non ?
• Hauteur d’x haute, moyenne ou basse ?
• Jonctions plutôt arrondies ou carrées ?
• Ouverture grande, moyenne ou petite ?
• a ou a ?
• g ou g(à double étage) ?
• Terminaisons des futs en goutte, effilée ou ornementée ?
• Traverse basse, moyenne ou haute ?
• Apex et vertex pointus ou biseautés ?
• Points ronds, carrés ou en diamant ?
• Overshoot petit ou grand ?
• Superness basse, moyenne ou haute ?

PILE PILE FACE PILE PILE/PILE/FACE PILE FACE FACE/FACE/PILE PILE PILE PILE FACE FACE/PILE/PILE FACE PILE PILE/FACE/PILE FACE PILE/FACE/FACE PILE FACE PILE/FACE/PILE PILE FACE FACE/PILE/FACE FACE/PILE/FACE FACE PILE/FACE/PILE PILE PILE/FACE/PILE

Une police faite sur Glyphs, dans l’alphabet latin, seulement les bas-de-casse, à empattements triangulaires, possédant un axe droit et un contraste prononcé, gras, italique, prenant en appui une fonte existante, pas stencil, condensée, proportionnelle, avec des inktraps, une hauteur d’x moyenne, une allure plutôt carrée, avec une grande ouverture, un a et un g à double étage, des terminaisons effilées, des traverses moyennes, des apex et de vertex biseautés, des points carrés, un petit overshoot et une superness moyenne.

Je voulais faire un prototype en utilisant le bien nommé Prototypo, pour avoir une idée de ce que tous ces choix pourraient donner comme caractère à ma fonte. Quelle ne fut pas ma surprise en apprenant que Prototypo avait fermé en juillet dernier.

Je me suis rabattu sur le site metaflop qui permet de faire varier les paramètres d’une police de manière un peu similaire.

1er test : C’est la seule fonte de metaflop avec des serifs, alors je m’adapte. Ça me donne une idée de vers quoi je me dirige pour choisir une fonte de départ.

La bidouille pour utiliser Glyphs sous Windows : une machine virtuelle J’ai une hésitation sur le fait de commencer à modifier les glyphes de la Junicode PUIS ensuite d’utiliser la fonction Filter > Transformations pour appliquer un “slant” négatif sur l’ensemble des glyphes, ou bien de faire l’inverse.

Je tire donc à pile ou face : c’est PILE, je commence donc par modifier les glyphes avant de les incliner.

Je commence par transformer les empattements, mais en fait la fonte Junicode (qui me sert de point de départ) est beaucoup trop funky et pleine de courbes et de corrections optiques pour que ce soit simple à modifier. Mes empattements sont très moches et je dois tout changer sur chaque glyphe pour avoir une vue plus globale. C’est alors que je tombe sur les corner components, qui permet de faire des modules d’empattements qui s’adaptent plus ou moins à l’angle du fut, et qui peuvent servir à faire aussi des inktraps par exemple (qui pourront me servir plus tard).

C’est beau la technologie. Je m’attèle donc à “dé-empatter” la Junicode pour pouvoir attacher par la suite mes propres modules de serifs.

Ensuite je modifie tous les paramètres que j’ai tiré au sort. C’est allé assez vite sur le plan de la réflexion puisque j’avais peu de choix à faire, mais ça ne simplifie pas la mise au point du dessin.

Pour régler les approches c’est plus difficile parce que l’italique inversé modifie quand même beaucoup la forme “classique” des lettres. J’ai voulu utiliser le script HT Letterspacer (qui ajuste semi-automatiquement l’espacement des glyphes sélectionnés) pour me faciliter la vie, mais j’ai perdu plus de temps à échouer à l’installer que d’essayer de régler correctement les approches manuellement.

Les différentes étapes de création ainsi qu’un aperçu modifiable de la fonte sont disponibles ici

Un petit best of des formes insolites :

Pour faire un petit spécimen je vais également tirer à pile ou face une série de paramètres :

• Portrait ou paysage ?
• Format A ou personnalisé ?
• Papier couché ou offset ?
  • Papier à plutôt fort ou faible grammage ?
• Avec ou sans images ?
• Reliure cousue, carré collée ou piqûre à cheval ?

FACE FACE FACE PILE FACE FACE/PILE/FACE

À mon échelle je suis limité par le format A3 pour l’impression, ce sera donc le maximum possible.

J’ai choisi d’alterner des pages noires et blanches pour que ça aille avec le côté binaire du tirage à pile ou face (et comme ça on peut voir ce que rend la fonte en défonce). On dit aussi “flip pages” pour “tourner les pages” en anglais, donc je trouve que ça colle bien.

Puisque la reliure tirée au sort est une reliure carré collée, il faut un certain nombre de pages pour que ça tienne. J’ai décidé d’utiliser les lancers e pièce pour créer une certaine épaisseur. Sur chaque page il y a un lancer qui indique pile, face ou bien un trio quand j’ai dû faire un choix ternaire.

J’ai également fait un schéma qui récapitule les choix que j’ai fait en forme d’arbre de décision.