En tant que pseudo-typographe j’aime bien le contraste et le noir et blanc, et même si je peux admirer des travaux qui utilisent bien la couleur je me retrouve souvent assez démuni quand c’est à mon tour de mettre la main à la pâte.
J’ai envie de fouiller un peu tout ça, en mêlant des intérêts techniques, scientifiques et plus plastiques (et j’ai aussi envie de refaire de la riso/de la sérigraphie). Et j’aime bien la trame aussi.
Je suis tombé sur quelque chose auquel j’avais pas pensé, mais la calbration des couleurs c’est super important dans le domaine médical, pour que les scans/images de microscopes aient la bonne couleur pour éviter les erreurs de diagnostic quand on envoie ces images à d’autres gens → l'article
J’ai tous ces profils colorimétriques installés sur ma version de Windows 10 (une partie sont des Color Libraries que j’ai installées et ne sont pas là par défaut, par exemple les profils RISO) :
Pourquoi autant de profils ? Pourquoi il n’y a pas de standard pour simplifier un peu tout ça ?
J’ai essayé de convertir la même image dans différents profils colorimétriques pour voir les différences. Ce n’est pas une “vraie” conversion, parce que l’image de base que j’ai choisie n’est pas en format RAW et donc a un nombre d’informations limité. Je pourrais prendre moi-même une image en RAW pour mieux me rendre compte des changements, mais dans la plupart des cas je travaille avec des images en JPEG ou en PNG provenant d’internet, et donc avec un profil déjà intégré. En plus je ne suis pas très doué en photo donc autant prendre une image que j’aime bien et avec suffisamment de couleurs différentes pour avoir une bonne base de comparaison.
Pour ça j’ai ouvert une image dans Photoshop, et je l’ai convertie puis enregistrée à la chaîne pour chaque profil (ou presque) que j’ai dans mon ordi. Le problème c’est qu’en faisant ça j’ai perdu des infos sur certains profils, que je n’ai pas pu récupérer ensuite. On arrive donc à ce genre de résultat au bout d’un moment :
Il faut que je recommence en repartant du fichier d’origine à chaque fois.
Apparemment c’est plus compliqué que ce que je pensais et convertir un profil intégré en un autre profil n’est pas vraiment conseillé. Je ne sais pas s’il faut que je supprime le profil intégré dans Photoshop pour en rajouter un nouveau ou bien que je le convertisse quand même ?
Pour éviter ça j’ai pris une photo en RAW de plein de trucs colorés, pour pouvoir assigner les profils que je veux sans soucis de conversion, en partant des données brutes (sans compter le profil de l’appareil photo).
J’ai converti cette photo dans tous les profils RGB et CMJN que j’avais sur mon ordi, et j’en ai fait un GIF. Le problème c’est qu’il pèse 41 Mo même compressé, donc j’ai dû le mettre en tout petit pour l’afficher ici :
(Je sais pas où ça mène mais voilà.)
En Riso on a besoin de se rendre compte de ce que vont donner les superpositions de plusieurs couleurs entre elles à différents niveaux de densité. Il existe donc des “diagrammes” de superposition qui montrent ça.
J’ai essayé de trouver d’autres formes pour ces diagrammes en cherchant le nombre minimal de cases qu’il faudrait pour représenter toutes les combinaisons possibles entre deux couleurs (en prenant une échelle de 10 à 100% d’opacité avec un pas de 10%). J’ai vu beaucoup de représentations en carré ou en rectangle, alors j’ai essayé de faire une représentation triangulaire.
Pour ça j’ai utilisé un peu de maths (avec GeoGebra) pour trouver la taille du triangle équilatéral composé d’autres triangles équilatéraux qui aura le nombre de cases souhaité (la fonction représente le nombre de cases triangulaires totale en fonction du nombre de cases de la base du grand triangle, qui est forcément impair).
Avec cette équation je vois qu’avec un côté de 21 petits triangles j’obtiens un grand triangle composé de 100 cases triangulaires. c’est ce qu’il me faut pour montrer toutes les superpositions de 2 couleurs.
Dans mes recherches j’ai appris l’existence du “dot gain”, c’est-à-dire que les points de trames sont plus gros imprimés parce que l’encre bave (c’est pour la même raison qu’on fait des inktraps en dessin de caractères). Le dot gain c’est le pourcentage d’assombrissement d’une surface tramée homogène à cause de l’augmentation de la taille des points. On peut régler son logiciel de traitement d’images pour compenser ce gain.
Ça peut aussi être causé par la façon dont la plaque offset est préparée, ou bien par l’écrasement de la forme imprimante ai fur et à mesure des impressions pour des grands tirages.
Là ou ça devient complexe c’est que ça dépend de l’encre, du papier, du procédé d’impression, des réglages de la machine, de la couleur de l’encre… Bref ça en fait des paramètres.
L’idée serait de faire un livre qui montre “exhaustivement” toutes les façons de se rendre compte de la couleur imprimée ou sur écran. Ce livre serait imprimé petit à petit sur plusieurs papiers/avec plusieurs techniques d’impression. Au fur et à mesure j’aurais une collection de livres qui me permettront de me rendre compte des différences.
→ Un livre pour un type de papier et une technique d’impression
Je vais essayer d’interviewer différentes personnes à Bruxelles qui font de la photogravures/qui travaillent avec des profils colorimétriques et qui s’y connaissent, pour avoir des textes détaillés à inclure dans le livre et pour apprendre des trucs moi-même.
Dans le principe ça ressemble à Dear Lulu, le résultat d’un workshop par James Goggin à l’Université de Darmstadt. Il y a aussi Variable Format de Lynn Harris (designé par Abake), qui imprime un même livre sur différents formats.
Qu’est-ce qu’il me faut comme type de contenu pour me rendre compte de la couleur imprimée ?
Avec tout ça j’ai une bonne idée du rendu de toutes les sortes de contenu que je peux mettre dans un projet imprimé (cf. ce boulot de Sukrii Kural).
Si mon objectif est que je puisse imprimer ce livre sur le plus de supports possibles pour avoir un objet de comparaison, alors je dois le penser comme extensible et à partir du plus petit dénominateur commun. Quelles sont les contraintes pour un objet imprimé multi-techniques/machines ?
Le format est déjà important, et pour la machine la plus contraignante (je dirais la riso) la taille maximum qu’on trouve en général c’est A3. Sachant que la zone d’impression est plus petite en réalité, ça me semble être une bonne première limite.
Pour la reliure si je ne veux pas m’embêter avec l’imposition et avoir un beau bloc de livres le carré collé est le plus adapté. De cette façon je peux relier le nombre de feuilles volantes imprimées en recto/verso que je veux. Je n’ai pas non plus à me soucier d’avoir un nombre de pages multiple de 4.
Pour le papier toutes les techniques n’ont pas les mêmes exigences, mais de toute façon je n’ai pas besoin de comparer une impression riso sur du papier couché et sur du papier non-couché puisque de toute façon on ne peut pas imprimer sur du papier couché avec la riso. Je ne peux pas être exhaustif donc c’est pas grave.
Pour l’instant le projet est peut-être un peu trop technique, un peu trop froid. Je recherche quelque chose pour lui donner une impulsion plus poétique. La question de la relation entre le langage et la couleur m’intéresse pas mal, je me demande s’il faut pas que je demande à des gens de me parler de couleur (mais pas des gens experts, des gens qui n’utilisent pas la couleur mais la reçoivent).
Pas forcément directement lié mais je pense à une expérience à faire : les appareils avec des écrans sur lesquels les gens regardent des images sont très variés : modèle, âge, format, luminosité, constructeur, système d’exploitation… Les profils colorimétriques des images sur internet ne sont pas forcément toujours bien ajustés, les écrans et les systèmes d’exploitations ont leur propres profils et réglages, tout ça peut être bien, mal ou pas du tout calibré. Tout ça fait un paquet de variables qui laissent à penser que l’expérience (l’évènement) de la couleur chez moi sur internet n’est pas (du tout) la même que celle de mon voisin. Même en comparant mon téléphone et mon ordi je devrait sûrement voir des différences de dingue.
Je me dis que je pourrais essayer de faire l’expérience du métamérisme, en affichant sur une page web deux couleurs très similaires d’un point de vue numérique (les valeurs RVB) mais potentiellement très différentes sous certains profils qui accentueraient cet écart (je sais que l’espace colorimétrique CIELAB est fait pour que les écarts numériques soient proches des écarts de perception réels, mais il me semble que pour le RVB c’est une autre histoire). Peut-être que les visiteurices de cette page pourraient commenter, en décrivant la/les couleurs qu’iels voient. Il est possible que ces descriptions de couleurs aient une valeur poétique ? En tout cas ça me semble assez beau de me dire que personne ne verra probablement la même chose en réalité, et surtout que les valeurs RVB que j’ai précisément définies n’empêcheront pas que je ne sache pas et ne puisse contrôler ce que chacun.e va voir sur son écran.
Je suis tombé l’autre jour sur la définition de la charte graphique de Twitter, qui donne des valeurs définies en RVB, hexadécimal, HSL etc. pour les personnes qui voudraient utiliser le “bleu Twitter”. Avec ces considérations en tête, on peut questionner l’intérêt d’une telle charte s’il est presque certain que l’utilisateurice final.e ne voit pas la même couleur sur son écran que le/la graphiste de Twitter au moment de sa conception.
Tout ça fait penser à la boîte de Wittgenstein :
Si je dis de moi-même que je sais seulement à partir de mon propre cas ce que signifie le mot “douleur”, — ne faut-il pas que je le dise aussi des autres ? Et comment puis-je donc généraliser ce seul cas avec tant de désinvolture ?
Eh bien, tout le monde vient de me dire qu’il ne sait qu’à partir de son propre cas ce qu’est la douleur ! — Supposons que chacun possède une boîte contenant ce que nous appellerons un “scarabée”. Personne ne pourrait jamais regarder dans la boîte des autres ; et chacun dirait qu’il ne sait ce qu’est un scarabée que parce qu’il a regardé le sien. — En ce cas, il se pourrait bien que nous ayons chacun, dans notre boîte, une chose différente. On pourrait même imaginer que la chose en question changerait sans cesse.Ludwig Wittgenstein, Recherches Philosophiques
On peut remplacer douleur par couleur et on garde le même principe. Finalement pour faire le parallèle avec notre appréciation quotidienne des couleurs –et donc des images– sur un écran, la “boîte” est notre écran et le “scarabée” est ce rouge, qui à cause des variations matérielles évoquées plus haut est sûrement différent (en plus d’être peut-être différent dans notre perception individuelle).
Je vois un autre parallèle avec Wittgenstein quand il parle de l'arôme du café :
Décrivez l’arôme du café, Pourquoi n’y parvient‑on pas ? Est‑ce que les mots nous manquent ? Mais d’où nous vient la pensée que pareille description doive être possible ? Vous seriez‑vous jamais ressenti du manque de pareille description ? Avez‑vous essayé de décrire l’arôme sans réussir ?Ludwig Wittgenstein, Recherches Philosophiques
Je me dis que ce genre de tentative de description de couleur peut avoir une portée poétique.
Peut-être qu’au lieu de faire des chapitres très marqués et définis comme un index/catalogue, je peux faire quelque chose de plus organique. Du moment que tous les éléments sont là, ce n’est pas très important qu’ils soient bien rangés et catégorisés (les lignes avec les lignes, les images avec les images…).
Pour m’aider dans cette organisation d’éléments graphiques/visuels/textuels, je vais réfléchir à fictionnaliser ma démarche, comme j’ai pu le faire pour des projets précédents. Pourquoi est-ce que quelqu’un voudrait faire cet exercice de produire une édition imprimée sur divers supports et machines ? Comment est-ce que la totalité des éléments que je veux imprimer pour les comparer peut-elle s’intégrer dans cette fiction ?
J’ai pensé à la symbolique de la pantoufle de vair/verre dans Cendrillon, dans le sens où le prince essaie la pantoufle à toutes les femmes du royaume pour voir à qui elle convient. Peut-être que ce livre que je veux imprimer de plein de façons différentes est un objet sentimental, un livre de mon enfance que j’ai perdu et que j’aimerais retrouver, non seulement dans son contenu mais aussi dans sa matérialité. Pour cela j’essaie alors “tous” les papiers et toutes les techniques d’impressions à ma disposition comme une quête sans fin et sensible pour accéder à ce souvenir à nouveau (un peu comme la madeleine de Proust).
Pour le contenu de ce livre j’ai d’abord pensé à Cendrillon pour le texte (c’est vieux donc libre de droits, je peux trouver des illustrations variées sur le sujet, le thème du livre correspond à l’intention du projet…).
Le problème c’est que le message de Cendrillon est un peu daté (la femme trop gentille qui fait bien toutes les tâches ingrates de la maison sans se plaindre et qui n’est choisie par le prince que pour sa beauté) et que je n’ai pas forcément envie de le revendiquer. J’ai recherché des variations de ce conte mais dans toutes les versions que j’ai trouvées (plus de 500 je crois) il y a toujours cette histoire d’épouser une femme sans lui demander son avis parce qu’elle a le pied qui correspond à la chaussure.
Finalement je m’oriente vers autre chose. J’ai trouvé le poème Voyelles de Rimbaud, qui associe chaque voyelle a une couleur.
Il y a plein de symbolique et d’interprétations différentes. Le rapport aux lettres et aux couleurs je trouve que ça relie bien l’impression et la typo, la synesthésie c’est à la fois un phénomène sensible et scientifique (et par rapport au souvenir c’est pas mal lié aussi, rapport à la madeleine de Proust que j’évoquais plus haut). Il y a une évocation à l’alchimie (qui va pas mal avec l’idée d’expérimentation/recherche/mélange science et magie) que j’aime bien. Le poème est un sonnet donc il est très structuré, il a une métrique claire et il y a potentiellement une logique mathématique ou systématique à trouver dedans (d’après Wikipédia le poème préfigure la cyberculture ? ? ? j’arrive pas à retrouver la source). Enfin il est court donc je peux vraiment me concentrer sur quelque chose d’assez resserré.
Ça n’a peut-être pas trop d’intérêt de faire un livre, et finalement je peux faire une “affiche” avec le même principe. En plus, imprimer seulement au recto ouvre plus de possibilités (faire une édition sans recto-verso c’est quand même soit galère soit beaucoup plus cher niveau papier).
J’essaie donc de trouver une composition du poème sur une page, format je sais pas.
Il faut que ce que je choisisse me permette d’imprimer un peu partout, donc je dois trouver le plus grand dénominateur commun. Le format A3 passe dans plein d’imprimantes, dont la RISO, mais celle-ci a des marges un peu plus importantes qu’une laser par exemple, ce qui réduit la surface imprimable. Mais si je veux imprimer chez Newspaper Club ou Blurb par exemple, il faut que je me plie à leur limite.
C’est là qu’un problème se pose : vu que maintenant je n’imprime plus qu’une seule page, et que ces services ne sont pas faits pour ce genre de service, il faudrait que je redécoupe dans le journal que je vais recevoir de chez Newspaper Club par exemple. Ou bien que je fasse une mini-édition de 4 pages, mais en utilisant quand même le recto-verso.
Chez Newspaper Club, le minimum de pages est 4 et leur format le plus populaire est 28,9 x 38cm.
Chez Blurb, c’est une vingtaine de pages minimum et 28 x 33cm pour le grand format papier photo/20 x 25cm pour le format grand poche/22 x 28cm pour les magazines.
Chez Lulu, c’est 2 pages et les formats les plus grands sont A4 et US Letter, presque la moitié du reste.
Pour traiter le poème de Rimbaud je me suis concentré sur la synesthésie, qui reliait pour moi le côté scientifique/perceptif et la poésie/sensation.
Il y a plusieurs types de synesthésies, mais la plus commune est le type “graphèmes-couleurs”, c’est-à-dire le fait de voir les lettres ou les chiffres en couleur. Là où c’est surprenant c’est que la couleur est réellement perçue et n’est pas juste un sentiment ou une association d’idée, ce qui fait que dans un ensemble de caractères imprimés en noir ceux qui sont “associés” à une couleurs par la synesthésie ressortent de l’ensemble. C’est cette logique que j’ai appliquée en créant du volume au niveau des voyelles. Pour ça j’ai utilisé HTML/CSS/Javascript, car je n’arrivais pas à avoir un résultat aussi “subtil” et “automatisable” avec d’autres logiciels.
Une simulation de ce que peuvent voir des synesthètes graphèmes-couleurs.
Voilà des exemples de rendu avec CSS/Javascript :
Il y a plus de vibration et de profondeur, et ça va mieux avec le poème selon moi.
Avec tout ça finalement j’ai décidé d’imprimer ce poème sur un format carte postale, qui permet de le transporter plus facilement qu’une collection de livres, et j’ai rajouté une mire en bas à gauche pour indiquer un endroit où on peut percer pour faire un genre de reliure nuancier :
Je suis pas encore méga convaincu mais c’est déjà une étape un peu finalisée.